Par Chantal Jouanno
Cette tribune est publiée sur lemonde.fr du 18 octobre 2022 et dans l’édition papier du journal Le Monde du 19 octobre 2022.
La Commission nationale du débat public (CNDP) a décidé d’organiser un débat public sur le programme, annoncé le 10 février par le président de la République et confié à EDF, de construction de six réacteurs nucléaires de type EPR 2, dont les deux premiers devraient être implantés sur le site de Penly (Seine-Maritime). Le débat s’ouvrira le 27 octobre, pour une durée de quatre mois, jusqu’au 27 février 2023.
Le nucléaire est bien plus qu’un choix technique ou économique, c’est pourquoi il importe que ce débat engage les citoyennes et les citoyens. Leur participation est le meilleur moyen d’éviter que le débat sur le nucléaire ne reste pris, comme le regrettait récemment une chronique du Monde, entre deux maux : d’un côté le « café du commerce », de l’autre les affrontements purement idéologiques. Celles et ceux qui s’intéressent à ce sujet peuvent lire à cet égard la note publiée en février par la CNDP, tirant les enseignements de dix-sept ans de débats publics et de concertations sur le nucléaire.
Les lecteurs pourront ainsi constater que de nombreux débats ont permis des contributions riches et des évolutions des politiques publiques. Le débat public de 2005 sur la gestion des déchets radioactifs a démontré que le seul compromis possible pour traiter les déchets radioactifs était de maintenir ouvertes toutes les solutions possibles, et pas uniquement l’enfouissement en couches géologiques profondes incarné par le projet Cigéo (Centre industriel de stockage géologique). En 2019, le débat public sur le plan national de gestion des matières et déchets radioactifs a permis de relancer les recherches sur les solutions alternatives et de modifier la gouvernance de ce secteur.
Il est vrai que certains débats publics ont été hautement conflictuels, notamment celui sur le projet Cigéo en 2013. Mais faut-il blâmer le public ou le politique ? Faut-il blâmer le public qui a constaté que les enseignements du débat de 2005 avaient été ignorés dans la loi du 28 juin 2006 sur la gestion des matières et déchets radioactifs, qui écartait toute autre solution que l’enfouissement en couches géologiques profondes ? Ou ne faudrait-il pas plutôt pointer du doigt les responsables politiques qui sont restés sourds aux enseignements du débat public ? Sans doute le débat sur le nucléaire est-il empreint de défiance et de conflictualité, car les politiques publiques dans ce domaine ont été marquées par le secret et les décisions imposées.
Nous avons changé d’époque, le débat public n’est plus une succession de grandes réunions où la parole est séquestrée par les plus forts. Aujourd’hui, les outils du débat sont multiples et nous allons au-devant du public pour recueillir les paroles les plus diverses, voire les plus timides. Nous avons changé d’époque : le débat public qui s’ouvre doit désormais vraiment éclairer les parlementaires qui devront écrire la prochaine loi de programmation énergie climat. Les décisions ne pourront pas être prises dans le dos du public et des parlementaires.
Je m’adresse aux journalistes, qui se sont engagés récemment pour un traitement médiatique « à la hauteur de l’urgence écologique ». Leur mission première est bien de contribuer à nos côtés à l’information du public, une information pluraliste et contradictoire, une information claire, lisible, accessible qui permette à toute personne de se faire sa propre opinion sur cette politique majeure et engageante pour les générations futures.
Je m’adresse également aux défenseurs de la démocratie, qui ne peuvent adhérer à l’idée trop souvent entendue que les grandes décisions publiques sont réservées aux experts et que le grand public devrait être écarté de ces choix majeurs. L’actualité révèle chaque jour que le débat et le conflit d’idées sont inhérents à la démocratie. Nous devrions nous méfier des consensus mous plus que des dissensus assumés. Mettre en lumière ce qui fonde nos désaccords est une contribution majeure à la démocratie.
Je m’adresse enfin à toutes les personnes qui vivent en France. Quels que soient votre âge, votre formation, vos responsabilités, je vous invite à vous saisir pleinement de ce droit d’être informé et de pouvoir participer à l’élaboration des décisions qui vous concernent ; ce droit précieux dont tant de personnes dans le monde rêveraient de pouvoir se saisir pour que personne n’écrive leur avenir à leur place.
- Publié le 18/10/2022
- Date de dernière mise à jour : 18/10/2022