Discours de fin de mandat de Chantal Jouanno, présidente de la CNDP

Discours de Chantal Jouanno, présidente de la CNDP, le 14 mars 2023 lors de la cérémonie de fin de mandat.

Cérémonie de départ - Discours de la présidente Mme Chantal Jouanno
mardi 14 mars 2023

Seul le prononcé fait foi


 

Chères toutes et tous,

Je vous remercie d’être venus aussi nombreuses et nombreux. D’avoir surmonté les difficultés de transport. Je suis très touchée par votre présence. Ce départ est aussi l’occasion de retrouver celles et ceux qui sont nos partenaires du quotidien.

Pour rompre les traditions, je voudrais commencer par un temps de remerciements.

Merci aux Commissaires : vous êtes fidèles, vous êtes patients pour supporter des séances de 8 heures ; vous êtes exigeants mais dans un dialogue de confiance.

Merci aux 226 garantes, garants, merci aux équipes des débats : vous êtes pour le public notre visage sur le terrain ; vous êtes les militantes et les militants qui défendent le droit à l’information et à la participation dans des situations parfois très difficiles.

Je voudrais aussi remercier les maîtres d’ouvrage

Je vais être honnête avec vous. Nous mesurons pleinement combien il doit être délicat d’expliquer à vos équipes qu’il va falloir débattre des solutions alternatives à leur projet, voire du renoncement à leur projet.

Et là, mention spéciale pour la DGEC, qui a gagné sa carte de fidélité et peut rejoindre le club très fermé des maîtres d’ouvrage historiques.  

Enfin merci aux partenaires de la participation :

  • Décider ensemble
  • Le GIS« Démocratie et participation »
  • Je pense aussi à l’ICPC, l’ANSES, l’INC, l’INERIS, le Conseil national de la santé ou encore ATD QUART MONDE.

Vous nous apportez vos expériences, vos expertises. Et je dois vous dire que je suis désolée que nous n’ayons pas eu la possibilité d’échanger plus souvent ensemble. Mais je vous avoue que nous avons été submergés pendant cinq ans.

*

Car oui, je retiens d’abord que pendant cinq ans, nous avons connu à la CNDP une mutation radicale.

Nous avons multiplié l’activité par six. Nous avons traité plus de dossiers en 5 ans que sur les 21 années précédentes, 410 contre 265. Ce n’est donc plus la même institution car l’ampleur de cette croissance nous a imposé de professionnaliser nos procédures et de clarifier notre positionnement.

Là est le plus important et je le dis simplement : nous ne sommes pas ou plus une institution organisatrice de la participation. Nous sommes une institution garante du droit à l’information et à la participation. Nous sommes une institution très attachée à la Convention d’Aarhus et au code de l’environnement qui comprend un article magnifique : l’article L.120-1. Que dit-il ? Que la participation du public à l’élaboration des projets a pour objectif d’améliorer la qualité et la légitimité démocratique des décisions publiques. Tout est dit. La participation c’est la démocratie.

C’est au nom de ces principes que nous avons décidé d’être plus exigeants sur la précision des réponses que les maîtres d’ouvrage apportent aux débats et concertations. C’est au nom de ces principes que nous avons introduit l’exigence d’inclusion. C’est pour mieux garantir ces principes que toutes nos procédures internes, toutes nos formations, tous nos gabarits, notre charte graphique, toutes les exigences que nous portons auprès des garantes et des garants ont été revus.

*

Je dois avouer que j’ai mis du temps à comprendre que l’intérêt du débat public n’est pas la méthode mais l’objectif.

Moi aussi je pensais que la participation c’était de la pédagogie, de l’acceptabilité. Moi aussi j’ai confondu participation et consultation. Moi aussi j’ai pensé qu’il y avait des méthodes parfaites.

J’ai mis du temps à comprendre que le droit, les principes de la CNDP ne sont pas nés de la théorie. Ce sont des créations empiriques, nées de la pratique. Il y a ici, dans cette institution, 25 ans de pratique de la démocratie participative. 25 ans d’histoire, 25 ans d’erreurs corrigées, d’innovations, de progrès. Nous avons testé toutes les innovations de la participation. Quand le grand public découvre le tirage au sort et les conventions citoyennes, nous les avons déjà expérimentés plus de 30 fois !

Alors oui, Il reste encore beaucoup de progrès à faire. Nous avons, par exemple, des progrès à faire pour que le droit au débat public soit une réalité pour les publics fragiles. Nous avons des progrès considérables à faire pour le droit à l’information.

Mais ces défis démocratiques, nous les partageons avec tous les décideurs publics. Alors venez regarder ce que nous faisons. Réfléchissons ensemble avec le Parlement, avec le CESE, avec toutes les bonnes volontés de la démocratie. La CNDP est un creuset d’expériences, c’est une histoire d’une richesse incroyable pour notre pays. C’est une chance pour nos réflexions démocratiques.

*

Et je vais vous étonner, mais je peux vous affirmer que la démocratie participative se porte bien

Incroyablement bien. Sur le terrain, dans nos territoires, le dynamisme participatif est immense. Les collectivités, même les plus petites, débordent d’innovation. Le public est nombreux. Et dans 95 % des cas, il est bienveillant, il est contributif. Il cherche des solutions.

Alors oui, le consensus est rare. Mais heureusement car 100 % de votes positifs, c’est une dictature. A nous de trouver les alternatives et compensations aux personnes lésées par les projets que nous jugeons nécessaires. Je vais être honnête, je n’avais pas une vision aussi positive de notre société avant d’arriver à la CNDP. J’avais la vision déformée du politique et du décideur public qui malheureusement ne rencontre que les « très pour » ou les « très contre ».

J’aimerais vraiment que les décideurs mesurent combien l’immense majorité de nos concitoyennes et concitoyens est bienveillante. Combien elle cherche des solutions à la crise environnementale. C’est par une confiance réciproque, une confiance dans la démocratie de terrain que nous trouverons des solutions aux immenses défis qui nous attendent.

Et puisque la fin de mon mandat approche, je peux m’affranchir un peu de mon devoir de neutralité et vous dire quels enseignements j’aimerais partager et je vous les livre en vrac :

  1. Il est temps d’élargir le champ de la démocratie participative à d’autres domaines et la CNDP peut devenir la garante de ce droit ; nous l’avons expérimenté dans le domaine de la santé ou de l’alimentation, les principes et les méthodes de la démocratie participative sont les mêmes que dans le champ de l’environnement.
  2. Il faut aller beaucoup plus loin dans la territorialisation des politiques publiques. Il faut oser une planification ascendante, ancrée dans le territoire qui parte du réel, et pas une planification de bureau.
  3. Si on continue d’une main à écrire « participation » dans tous les discours et de l’autre à détricoter le droit de la participation, on prend les gens pour des idiots et ils s’en rendent compte ; le citizen washing, c’est anti-démocratique.
  4. Il faut aider les expérimentations participatives, qu’elles soient le fait de collectivités ou de collectifs spontanés. Il faut oser sortir des sentiers battus et expérimenter.
  5. Il y a beaucoup de grands projets industriels, très innovants – batteries solides, hydrogène, SAF, panneaux solaires, etc. –  et des solutions aux défis écologiques existent ; mais je ne suis pas certaine que nous ayons bien mesuré les exigences de l’adaptation aux changements climatiques.
  6. Nous avons besoin d’un vrai débat public national sur l’eau ; c’est un défi colossal, plus lourd que le défi énergétique, un défi qui peut radicaliser des tensions très fortes au sein de la société. Nous allons lancer un débat sur l’eau en Ile-de-France mais le défi concerne toute la France.

Bref, je suis convaincue que le sujet n’est pas de créer plus d’institutions, ni de les réformer, encore moins d’imaginer des schémas ou des plans. Nos administrations n’en peuvent plus et cela ne sert à rien. Il s’agit de sincèrement prendre en compte les territoires et la société dans nos décisions.

*

Alors, si vous avez été attentifs, vous avez observé que dans mes remerciements j’ai oublié l’équipe de la CNDP. C’est un oubli volontaire car je voulais garder le meilleur pour la fin.

C’est plus qu’une équipe, plus que des collaborateurs et des collaboratrices, c’est une famille assez unique. C’est une famille militante et très souriante. En 24 ans d’expérience, c’est l’équipe la plus positivement professionnelle que j’ai connue.

Je vous regretterai toutes et tous. Mais je sais que grâce à vous, la CNDP et surtout le droit à la participation du public sont entre des mains fermes mais bienveillantes.

Voilà, je vais quitter la neutralité et retourner à mon engagement pour la transition écologique, pour accompagner les acteurs, notamment les entreprises, qui ont conscience que l’avenir sera obligatoirement « écologique ».

 

 

  • Publié le 15/03/2023
  • Date de dernière mise à jour : 21/03/2024

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